La question de savoir ce qui se passe dans le cerveau lorsque nous vivons une expérience spirituelle a été explorée à de nombreuses reprises. Les résultats sont variables, et cette question continue de fasciner les chercheurs et les non spécialistes. Une nouvelle étude vise à révéler plus.
Pendant des décennies, des chercheurs intrigués par l’importance de la spiritualité dans la vie des gens ont mené des études sur ce qui se passe dans le cerveau humain lorsque les gens se sentent profondément connectés spirituellement.
En raison du fait que le concept de « spiritualité » peut être compris de tant de manières différentes selon les cultures et les individus – et que tout ce que quelqu’un peut appeler une « expérience spirituelle » peut stimuler le cerveau de manière très complexe – il a été difficile de déterminer avec précision un mécanisme cérébral pour la spiritualité.
Néanmoins, les chercheurs ont persévéré malgré les défis. Ainsi, des études sur des religieuses Carmélites [1] et des praticiens mormons dévoués [2] ont suggéré que plusieurs régions du cerveau sont impliquées dans le traitement des expériences d’union avec un être supérieur.
De plus, quelques études ont suggéré que certaines personnes partageaient un point commun: leur activité dans le lobe pariétal droit [3] diminuait, ce qui était lié à une focalisation sur soi.
En d’autres termes, les expériences spirituelles semblaient augmenter, pour ainsi dire, le « désintéressement » du cerveau.
La spiritualité contre la dépression?
Le professeur Lisa Miller, rédactrice du Oxford University Press Handbook of Psychology & Spirituality, a mené une série d’études sur ce qui se passe dans le cerveau des personnes ayant une vie spirituelle intense.
Ses recherches ont montré que les personnes ayant des pratiques spirituelles régulières présentent un épaississement cortical dans le cortex préfrontal. Curieusement, elle dit que les personnes vivant avec une dépression chronique subissent un amincissement cortical dans la même région cérébrale.
Cela l’a amenée à affirmer [4] que la spiritualité et la dépression sont probablement «les deux faces d’une même pièce».
Récemment, Miller et une équipe de chercheurs du Spirituality Mind Body Institute, du Teachers College de la Columbia University à New York, dans l’État de New York, et de la faculté de médecine de l’Université de Yale, à New Haven, dans le Connecticut, ont utilisé l’IRM fonctionnelle pour analyser ce qui se passe dans le cerveau des individus qui vivent une expérience spirituelle intense.
Ils ont recruté des participants souscrivant à différentes pratiques spirituelles et religieuses, auxquels, dans une première expérience, ils ont demandé de se souvenir d’une expérience spirituelle personnelle alors que leurs cerveaux étaient en train d’être scannés.
Cela a été fait à l’aide de scripts que les participants avaient reçus au préalable, leur indiquant « de décrire une situation dans laquelle ils ont ressenti un lien fort avec une puissance supérieure ou une présence spirituelle ».
Puisqu’elles avaient toutes des pratiques spirituelles très différentes, les expériences décrites dans les instructions de l’expérience couvraient un large éventail, allant d’une « relation à double sens avec une puissance supérieure » et d’un « sentiment ressenti d’unité dans la nature près de l’océan ou au sommet d’une montagne », jusqu’à être « dans une zone d’activité physique intense (telle que le sport ou le yoga), une prise de conscience soudaine, une connectivité corporelle ressentie ou une flottabilité, une méditation ou une prière ».
Aucune des instructions ne comportait d’imagerie liée à la nourriture et à l’alimentation, ni aux activités sexuelles ou à la drogue.
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Les chercheurs soutiennent qu’il s’agit d’une « définition plus large et moderne de la spiritualité pouvant être indépendante de la religion ».
Leurs découvertes [5] ont été rapportées dans un article maintenant publié dans la revue Cerebral Cortex.
La spiritualité peut « amortir les effets du stress »
L’étude de l’activité cérébrale des volontaires, imaginant une expérience spirituelle personnelle, a permis aux scientifiques d’identifier les régions cérébrales qui semblaient être impliquées dans le traitement d’événements spirituels.
Miller et ses collègues ont également comparé l’activité cérébrale observée lorsque les participants ont décrit une expérience spirituelle, avec l’activité cérébrale observée lorsque les volontaires ont des expériences stressantes ou neutres qui ne provoquaient pas d’émotions fortes.
Ce faisant, ils ont réussi à trouver un modèle qui, dit-on, n’est observé que lorsqu’une expérience spirituelle est impliquée.
Ils ont découvert que le lobe pariétal inférieur – lié à la conscience de soi et des autres – était moins actif quand ils décrivaient un événement spirituel, alors que l’activité dans cette région du cerveau augmentait lorsqu’ils pensaient au stress ou à des expériences émotionnellement neutres.
L’équipe suggère donc que cette région « peut contribuer de manière importante au traitement de la perception et aux représentations de soi-même au cours d’expériences spirituelles ».
Cela semble confirmer les arguments précédents de Miller selon lesquels les expériences spirituelles pourraient aider à « atténuer les effets du stress sur la santé mentale ».
« Ces résultats démontrent les mécanismes neuronaux qui sous-tendent l’expérience spirituelle à travers différentes traditions et perspectives », expliquent les chercheurs.
« Continuer à renforcer notre compréhension empirique de la manière dont les expériences spirituelles sont médiées par le cerveau et l’extension future d’études similaires à des populations cliniques pourraient aider à faciliter l’intégration judicieuse de la spiritualité dans le traitement et la prévention dans les domaines des problèmes de santé mentale », ajoutent-ils.
Il convient de mentionner que l’étude était à petite échelle et n’avait impliqué que 27 participants au total. Tous les participants étaient de jeunes adultes, âgés de 18 à 27 ans, en bonne santé physique et mentale.
[1] Corrélats neuraux d’une expérience mystique chez des nonnes carmélites (Neural correlates of a mystical experience in Carmelite nuns) (Neurosci Lett. 2006 Sep 25;405(3):186-90. Epub 2006 Jul 26.)
[2] Les réseaux de récompense, de visibilité et d’attention sont activés par l’expérience religieuse de mormons dévots. (Reward, salience, and attentional networks are activated by religious experience in devout Mormons.) Soc Neurosci. 2018 Feb;13(1):104-116. doi: 10.1080/17470919.2016.1257437. Epub 2016 Nov 29.
[3] Le «désintéressement» lié au lobe pariétal droit en tant que base neuropsychologique de la transcendance spirituelle (Right Parietal Lobe-Related “Selflessness” as the Neuropsychological Basis of Spiritual Transcendence ) Department of Health Psychology , University of Missouri , Angela Bodling , Dan Cohen , Shawn E. Christ & Andrew Wegrzyn
Pages 267-284 | Accepted author version posted online: 23 Jan 2012, Published online: 18 Sep 2012
[4] Éveil spirituel et dépression chez les adolescents: un parcours unifié ou « les deux faces d’une même pièce ». (Spiritual awakening and depression in adolescents: a unified pathway or « two sides of the same coin ».) Professor and Director of Clinical Psychology, Columbia University, Teachers College. Bull Menninger Clin. 2013 Fall;77(4):332-48. doi: 10.1521/bumc.2013.77.4.332.
[5] Corrélats neuronaux d’expériences spirituelles personnalisées (Neural Correlates of Personalized Spiritual Experiences). Lisa Miller, Iris M Balodis, Clayton H McClintock, Jiansong Xu, Cheryl M Lacadie, Rajita Sinha, Marc N Potenza. Cerebral Cortex, Volume 29, Issue 6, June 2019, Pages 2331–2338, https://doi.org/10.1093/cercor/bhy102